Je participais mercredi dernier en compagnie de Philippe Yonnet et Jean Veronis à la conférence sur "les méandres de la recherche universelle" à l'occasion des Search Engine Strategies. Pour ceux n'ayant pu y assister (ou ceux ayant déjà tout oublié), voici un transcript légèrement remanié de mon intervention, enrichi de quelques liens, ainsi que l'inévitable Powerpoint (PPT).

Le concept

En quoi consiste la recherche universelle tout d'abord ? Le concept-clé, c'est de présenter dans une page de résultats unique des ressources issues de bases de données spécialisées, au lieu de présenter uniquement des résultats web par défaut. Chez Google, cela donne une page mélangeant des résultats de natures différentes dans une même liste (exemple). Chez Ask, par contre, on a bien une page unique, mais les résultats autres que les pages web sont présentés dans une colonne à part (exemple)

La recherche universelle coté utilisateurs

La recherche universelle est souvent présentée par les moteurs comme une révolution qui permettra enfin d'accéder à toute la richesse du web. On peut comprendre que les moteurs soient enthousiastes vis-à-vis de leurs produits. Pour autant, s'agit-il d'une panacée ?

L'adjectif "universel" en lui-même est déjà trompeur : en guise d'univers, c'est surtout l'exploration de la galaxie Google qui est facilitée. De l'univers à la galaxie, ce n'est pas la même échelle. La recherche n'est pas si "universelle" que cela : la recherche universelle ne donne pas accès aux documents pourtant accessibles mais non indexés par le moteur, et encore moins au web invisible.

Une autre question qui se pose : est-ce un progrès pour l'utilisateur ? En général, les utilisateurs aiment peu le changement, et ils ne cherchent pas non plus à avoir l'interface la plus efficace possible. Ce qu'ils apprécient, c'est une interface qui fonctionne et leur permet simplement d'accomplir leurs tâches. Depuis des années, le modèle d'une page présentant uniquement des pages web s'est imposé. Les utilisateurs ne seront-ils pas désorientés si on ajoute à ces pages des images, des vidéos, des actualités, des images etc. ? Les images et les vidéos, de par leur saillance, n'affectent-elles pas la lisibilité des pages de résultats, comme semblent le suggérer quelques études d'eye-tracking ? On peut également noter que des interfaces similaires à ce que propose la recherche universelle existent depuis plusieurs années. Pourtant elles n'ont jamais vraiment décollé…

Bien sûr, Google nous dit qu'il s'agit de "briser les silos de l'information". C'est vrai que ça présente toujours mieux de dire que l'on va "libérer" quelque chose plutôt que "segmenter" : cela fait appel à la notion de liberté, avec tous les à-priori positifs qui vont avec. Pourtant, les silos sont bien pratiques : d'ailleurs ne les a-t-on pas inventés pour stocker et protéger le bon grain? Briser ces silos sans que cela soit demandé par l'utilisateur, n'est-ce pas prendre le risque d'introduire de l'ivraie, du bruit dans sa recherche ? Car les utilisateurs, même s'ils ne l'expriment pas savent en général ce qu'ils cherchent. Et ils savent d'ailleurs s'approprier les bons outils quand ils en ont besoin : Google Images est par exemple le second service de recherche le plus utilisé de Google.

Avec la recherche universelle, ce que Google propose, ce n'est pas vraiment une amélioration dans la pertinence : il ne s'agit pas de présenter de meilleurs résultats, mais juste une plus grande diversité de résultats, dans l'espoir que parmi ses résultats l'internaute trouvera son compte. Pour prendre une image guerrière, Google fait le choix de mitrailler sa cible au lieu d'affiner sa visée. C'est un choix défendable, mais ce n'est pas à mon avis une amélioration qualitative.

Enfin, dernière question : comment comparer la pertinence de ressources de natures très différentes, comme une page web et une vidéo ? Quand il s'agit de comparer deux textes, cela est déjà difficile, même si on a des éléments objectifs, comme le nombre d'occurrences, leurs places dans les documents etc. Mais dans le cas d'un texte et d'une vidéo ?

Quelques innovations bienvenues

Tout n'est pas cependant négatif. La recherche universelle propose quand même quelques innovations appréciables. Le menu de navigation contextuel est je pense une bonne innovation. Mais il ne s'agit pas quand même d'une révolution majeure : il y a plusieurs années, l'interface de Google permettait déjà d'adresser la même requête aux différents services comme Google News, Google Image, Usenet etc. Ce qui est neuf est juste la contextualisation en fonction de la requête.

Un autre mérite de la recherche universelle pourrait être d'inciter les utilisateurs à utiliser davantage les outils verticaux, une fois que ceux-ci les auront découverts via une page "universelle". Mais il y a là un paradoxe, puisque la page de résultats unique prônée par Google pourrait finalement pousser à la spécialisation des recherches.

La prise en compte de l'intention est aussi bienvenue : une recherche sur "global warming vidéos" affichera par exemple des vidéos dans les pages de résultats, ce qui n'est pas le cas d'une recherche sur "global warming" uniquement.

La recherche universelle et les référenceurs

Après avoir parlé de l'utilisateur, qu'en est-il au niveau du Search Marketing ? La recherche universelle remet-elle en cause les stratégies de référencement telles qu'on les connait actuellement ?

On peut considérer dans un sens que la recherche universelle est une menace. Pourquoi une menace ? Tout simplement parce qu'il y a plus de documents en compétition : là où l'on concourait avec 1.000.000 de pages web, on concourt désormais potentiellement avec 1.000.000 pages web + 12.000 news + 30.000 billets de blogs + 150 vidéos etc. Il peut donc potentiellement être plus difficile de se positionner.

Mais la recherche universelle peut aussi être une opportunité pour le web marketer, qui dispose de nouveaux leviers à activer : il est ainsi possible pour les marques d'acquérir une visibilité dans les pages de résultats par défaut des moteurs grâce à une vidéo, une image, une actualité.

Il faut cependant relativiser tout cela. La menace, si elle est réelle, reste encore limitée : L'implémentation de la recherche universelle est encore partielle aux Etats-Unis, et encore plus anecdotique en France. Philippe Yonnet parlait d'ailleurs de 5% de pages des résultats universelles seulement.

D'autre part, j'ai personnellement de gros doutes sur le "référencement universel" et son retour sur investissement en général, même si des cas isolés peuvent faire croire le contraire : quand on voit les efforts qu'il faut déployer pour développer un peu plus le contenu texte de nombreux sites, je ne pense pas qu'on puisse décemment demander à un client de produire de la vidéo, d'animer un blog, de référencer des images uniquement pour améliorer son référencement. L'investissement serait disproportionné. Par contre, dans le cas où le client décide effectivement de communiquer via la vidéo, ou via le blog il faut absolument prendre en compte le référencement de ces contenus dès le départ, pour profiter éventuellement de la recherche universelle.