Connu pour son roman 1984, George Orwell était aussi un ardent défenseur du parler clair. Dans un essai intitulé "Politics and the english language" (1946), il déplore l'état de déliquescence de la langue, en particulier celle des politiques. Pour Orwell, il ne s'agit pas de s'apitoyer sur les évolutions du langage au nom d'un quelconque sentimentalisme, mais de faire prendre conscience qu'un langage imprécis, hermétique, trop porté sur l'abstraction et les poncifs est dangereux : il est la porte ouverte à la manipulation et ne favorise pas la réflexion. Orwell parlait de la langue anglaise. Mais sa reflexion est tout aussi pertinente en ce qui concerne la langue française et le langage marketing.

Traduction par mes soins de quelques passage significatifs (j'ai également copié quelques passages traduits par Michel Roudot):

"...Il est clair que le déclin d'une langue doit dépendre de causes politiques et économiques : il ne peut être dû à la seule mauvaise influence de tel ou tel individu. Mais un effet peut devenir une cause, qui va à son tour renforcer la cause première et en accentuer les effets ; et celà indéfiniment. Un homme qui se met à boire parce qu'il se considère comme un perdant se perdra définitivement en buvant. Il en va de même de la langue. Elle s'enlaidit et devient imprécise parce que notre pensée est confuse. Mais le laxisme en matière de langage facilite à son tour la confusion de notre pensée".

"Ce mélange de flou et d'impéritie est la caractéristique la plus marquante de la prose moderne, tout particulièrement en matière de discours politique. Aussitôt que certaines questions sont évoquées, le concrêt se dissout dans l'abstrait, et personne ne semble plus capable de s'exprimer autrement qu'en recourant à des formules éculées : la prose moderne consiste de moins en moins en des mots choisis pour leur sens, et de plus en plus en des phrases assemblées comme des éléments préfabriqués".

"L'écriture moderne dans sa pire forme ne consiste pas à sélectionner des mots pour leur signification et à employer des métaphore dans le but de faciliter la compréhension. Elle consiste en un assemblage de chaînes de mots déjà ordonnés par d'autres, rendu présentable par pure fumisterie. L'attrait de cette façon d'écrire, c'est sa facilité. Il est plus facile, et même parfois plus rapide si on en a l'habitude, de dire "à mon avis ce n'est pas une hypothèse déraisonnable que de penser que" que "je pense". Lorsque vous employez des expressions toutes faites, vous vous épargnez non seulement la recherche du mot juste, mais vous éludez également la question de la rythmique de vos phrases, puisque ces expressions sont conçues en général de façon à être plus ou moins euphoniques (...) En recourant à des métaphores, des analogies éculées et à des idiômes, vous vous épargnez bien des efforts mentaux, mais au prix d'un discours vague, aussi bien pour vos lecteurs que pour vous-même."

"Un auteur scrupuleux, pour chaque phrase qu'il écrit, se posera au moins quatre questions, à savoir : qu'est-ce-que j'essaie de dire ? Quels mots l'exprimeront ? Quelle image ou tournure le rendront plus clair ? Cette image est elle assez fraiche avoir un effet ? Et il s'en posera probablement encore deux : Pourrais-je le rendre plus concis ? Ai-je dit quoi que ce soit de laid qui soit évitable ? Mais vous n'êtes pas obligés de vous donner tout ce mal. Vous pouvez vous y soustraire simplement en ouvrant votre esprit et en laissant les expressions tout faites venir s'y entasser. Elles construiront vos phrases pour vous - penseront même pour vous, jusqu'à un certain point - et au besoin elles exécuteront le service important de masquer partiellement, même à vous-même, ce que vous voulez dire. C'est ici que le lien particulier entre la politique et la dégradation de la langue devient clair".

"De nos jours, le discours politique est en grande partie la défense de l'indéfendable. Des choses comme le maintien de l'autorité britannique en Inde, les purges russes et les déportations, le lancement des bombes atomiques sur le Japon, peuvent en effet être défendues, mais seulement par des arguments qui sont trop brutaux pour la plupart des gens et qui ne cadrent pas avec les buts déclarés des partis politiques. Le langage politique doit donc être en grande partie composé d'euphémismes, de questions réthoriques et de pur flou brumeux".

"Une masse de mots latins tombe sur les faits comme une neige molle, brouillant les contours et dissimulant tous les détails. Le grand ennemi du langage clair est l'hypocrisie. Quand il y a un écart entre les buts réels et les buts déclarés, on se tourne comme instinctivement vers des longs mots et des tournures usées, comme une seiche projetant son encre (...) Quand l'atmosphère générale est mauvaise, le langage souffre".

"Ce qui est par dessus tout nécessaire est de laisser la signification choisir le mot et pas le contraire. Dans la prose, la pire chose qu'on puisse faire avec les mots est de capituler devant eux. Quand vous pensez à un objet concret, vous pensez sans mots et ensuite, si vous voulez décrire la chose que vous avez visualisée vous faites probablement la chasse aux mots exacts qui semblent adaptés. Quand vous pensez à quelque chose d'abstrait vous êtes plus inclinés à utiliser des mots depuis le début et à moins que vous ne fassiez un effort conscient pour l'empêcher, le dialecte existant se précipitera et fera le travail pour vous, au coût de brouiller ou même de changer ce que vous vouliez dire. Il est probablement meilleur de repousser au plus tard possible l'utilisation des mots et d'éclaircir le sens autant qu'on peut par des images et des sensations. Après quoi on peut choisir - et non simplement accepter - les expressions qui couvriront le mieux la signification et finalement décider quelles impressions ses mots sont susceptibles de faire sur une autre personne. Ce dernier effort de l'esprit élague toutes les images éventées ou mélangées, toutes les expressions préfabriquées, les répétitions inutiles et d'une façon générale l'absurdité et le manque de précision."

Pour finir, George Orwell donne une série de conseil pertinents pour les rédacteurs :

  • N'utilisez jamais une métaphore, comparaison, ou autre figure de rhétorique que vous avez l'habitude de voir.
  • N'utilisez jamais un long mot quand un court convient.
  • S'il est possible de supprimer un mot, supprimez le toujours.
  • N'utilisez jamais le passif si vous pouvez utiliser l'actif.
  • N'utilisez jamais une expression étrangère, un mot scientifique, ou un mot de jargon si vous pouvez penser à un équivalent courant.
  • Violez n'importe laquelle de ces règles plutôt que de dire quoi que ce soit de franchement barbare.